Souviens-toi...U-Rwanda

Publié le par Dissidence

Dans mon cœur un souvenir s’éveille. Dans mon cœur une douleur se réveille.
Si loin est l'Histoire. Si vive est la douleur…
Dans mon cœur vibre une mélodie.

Urundi, Urwanda.

Été 1994, Burundi. Rwanda à quelques kilomètres de chez nous. Deux pays, une même langue. Un même empire, une même nation. Un même peuple. Une même terre divisée en deux, tel un vulgaire morceau de gâteau. Un même peuple séparé, poussé à la haine inutile par des colons cupides, vautours avides de pouvoir, requins assoiffés de sang vautrés dans leurs fauteuils en peau de lion.
Sale, sale est le regard sournois qu’ils posent sur l’Afrique.
Vide, vide est leur cœur, si cœur il y a.

Ils observent l’aristocratie africaine, plus juste que la leur. Eux imposaient à leurs paysans un système féodal aux portes fermées sur la noblesse. Eux croient encore que la noblesse coule dans les veines de certains.
Ici, la noblesse s’acquiert par le mérite et la sagesse. Ici, l’aristocratie est un grade auquel tous peuvent accéder. Ici, point de différence entre frères.
Ils observent, encore et encore, et cela fait briller leurs yeux de cupidité. Tant d’hommes, prétendûment intelligents, assis sur toutes ces richesses, sans jamais les exploiter pleinement !

Sous leurs pieds qui dansent, l’or fait luire le diamant. Le fer attend qu’on le déterre, le rubis n’en peut plus de giser sous terre. Ils en font des bijoux pour leurs femmes, des ornements pour leurs rois. Des bijoux… !!!
Ne savent-ils donc pas qu’avec toutes ces pierres précieuses ils peuvent dominer les grands de ce monde ?! Cela ne les intéresse pas. Comment, voici donc un peuple que la richesse, le pouvoir absolu n’intéressent pas ! Ils préfèrent se pavaner dans leurs tenues de paille et mesurer leur richesse au bétail…
Ces nègres sont vraiment une race d’imbéciles heureux.
Et une aubaine pour qui sait en user.

Unrundi, Urwanda.

La guerre éclate alors que nous jouons tranquillement dans le bungalow…
Je revois mes amis, mes premiers amis, mes chers amis, s’enfuir par la porte de derrière. Je les revois, pris de panique, se disperser tels des insectes chassés de leur fourmilière. La clameur de la foule avance, elle est près de nous.

Urundi, Urwanda ! Pourquoi as-tu cru aux mensonges ? Qu’en savent-ils, de tes tribus, de tes traditions, de…de ton peuple ?
Oh, pourquoi avez-vous cru en cette prétendue différence ? J’entends encore la voix de mon petit voisin, qui nous explique ce que lui ont dit ses parents :
« Les Hutu, ils ont des gros nez et des grosses narines pour bien respirer. Alors que les Tutsi, ils ont un tout petit nez pointu, comme les Blancs. On n’est pas pareils. Ils croient qu’ils sont les plus beaux à cause de leur nez. Mais c’est nous les plus forts. Moi, je suis Hutu. Facile, il n’y a qu’à voir mon nez large et fort ! »
- Et celui de ta sœur, alors ? Elle a un nez pointu, ta sœur.
- Euh…

Pauvre enfant, malheureux enfant ! Pourquoi as-tu cru à un si funeste subterfuge…

« Tac ». Au milieu de la cohue, un bruit minuscule attire mon attention. Quelque chose vient d’atterrir par terre, à mes pieds. Je baisse la tête. Entre mes deux orteils nus, un caillou doré vient de tomber parmi les galets blancs. Je me baisse et le ramasse, fascinée. Ce caillou a l’air si parfait, avec sa forme ovale et sa pointe ronde !
J’apprendrai plus tard qu’il s’agissait d’une balle perdue.

Une balle parmi les milliers qui ont abondamment tâché l’Afrique d’hémoglobine, décimé des familles entières, détruit l’avenir et les rêves de tant d’enfants de mon âge.

Urundi, Urwanda…

Que sont devenus mes amis d’enfance ? Où sont ceux qui ont partagé avec moi les premières joies de la vie, les premiers jeux, les premières découvertes insolites ? je n’ai guère eu le temps de les connaître. Ce fut mon premier lien à la vie, mon premier groupe d’amis…

Urundi, Urwanda…
Tant de fleurs mises en terre que je ne verrai jamais pousser.
Promesse bafouée, tuée, d’une amitié qui devait durer toute la vie.
Mon premier amour d’enfance. Évaporé comme un mirage vascillant au loin.
Et peut-être une belle histoire…
Effacés. Exterminés. Emportés par cette guerre que je ne savais pas déclenchée, cette guerre que j’ai perdue sans même avoir combattu. La guerre qu’a déclaré la haine contre l’amitié, la guerre que le pouvoir a remporté sur ma joie de vivre, sur ma joie d’être. La guerre qui a détruit mon bonheur d’être une enfant.
Cruelle est la séparation.
Ce lien, ce cordon ombilical, encore si fort entre l’enfant que je suis et mon univers, doit se rompre si tôt, si brutalement.
Atroce est la douleur.
Atroce est la cruelle douleur qui me torture encore aujourd’hui, quand je vois mon peuple, mes îles natales, mourir à cause du même mensonge, tentées par le même vautour perfide. Mordues par le même serpent.

Urundi, Urwanda…
La cupidité t’a arrachée à mon cœur, comme l’on arrache à une mère l’enfant dont elle n’a pas encore accouché. Je m’en vais, empreinte de l’insouciance si propre à mon âge, ignorant combien, ô combien…ignorant combien cette rupture pèsera, longtemps, sur celle que je deviendrai.
Je m’en vais, mais je ne t’oublierai jamais.
Je m’en vais, et mes larmes attendront que je sois femme pour couler.
Je m’en vais. Ignorant comment être femme alors que j’ai à peine goûté à l’enfance.
Je m’en vais…mais je ne t’ai jamais dit adieu.

Publié dans Lumiere sur l'Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article