"Afrique" : est-ce un nom ?

De l'arrière-pays de la grande ennemie, la province de Carthage, les Romains savaient très peu de choses. Si ce n'est que ces espaces abritaient des peuples différents, parmi lesquelles les Nubiens, les Lybiens, les Berbères.

Près de Carthage vivait la tribu des "Afridi", parfois désignés comme les ancêtres des actuels Tunisiens.

Etant l'un des rares peuples connus, il a semblé plus aisé d'attribuer leur nom au reste des terres inconnues de l'arrière-pays...Et c'est ainsi que cette mine d'or que dirigeaient empereurs et Pharaons fut nommée Africa, à telle enseigne que les explorateurs venus de la péninsule arabique - les "Arabes" -, familiers depuis longtemps au continent, ont repris le nom : Ifrîqia.

On est toujours nommé par les autres, cela va de soi. Le plus souvent par les nôtres : Par nos parents, par nos familles ; fréquemment par d'autres, pas toujours bien intentionnés.

Si nous avions dû donner nous-mêmes un nom à notre continent, qu'aurions-nous choisi ?

Pour y répondre, revenons un tout petit instant au 29 Mai 2005. Celle où la France, suivie par d'autres, a opposé un "non" catégorique à l'Europe Unique. Outre les raisons économiques - baisse du Franc et hausse des prix - , un malaise plus profond a été évoqué : "nous ne voulons pas être fondus, nous et notre culture propre, et notre identité, dans une même entité. Ce continent abrite plusieurs peupls et c'est la diversité qui est belle".

Car l'Europe a été peuplée par plusieurs groupes de langues différents, qui ont cohabité ou se sont battus pour sa la posséder : Vikings, Wisigoth, ou Latins.

Pour ne plus s'attarder, on dira qu'il ne s'agit pas d'UNE Europe; mais de PLUSIEURS Europes. Europe étant une divinité de la mythologie Romaine...mais nous y reviendrons.

De la même manière, il serait idiot, sinon ignoble, de désigner le continent à corne par une seule et même idée, qui laisserait supposer que nous nous ressemblons tous, que nous ne sommes pas riches de notre diversité. Au même titre que les Italiens et les Espagnols, Peul et Zulu ne portent pas les mêmes traits, et peuvent apprendre énormément les uns des autres. L'avantage d'un continent est que l'absence d'océan permet de voyager plus facilement - le voyage terrestre étant plus commode et moins dangereux que par la mer -. ce qui favorise, de notre coté, le nomadisme. Qui dit nomadisme dit rencontres, donc échanges, donc influences culturelles (langues, pratiques ) et, éventuellement, métissage.

Il faut donc nous réapproprier notre continent, dans toute sa diversité et sa richesse. Une étude ancienne a démontré qu'en comparant les gènes entre "Africains et Africains", et entre "Européens et Européens", on trouve plus de divergences entre les gènes "Africains-Africains". Et, au grand étonnement des chercheurs, on trouve de grandes similitudes entre gènes "Africains" et gènes "Européens" ou "Asiatiques" !

Alors non : le continent à corne n'abrite pas un seul type de peuples, les "Africains", mais plusieurs peuples différents.

Non : on ne parle pas l'"africain", mais plusieurs centaines de langues qui s'empruntent les unes aux autres.

Non : il n'existe pas de cheuveux ou de peau "de type africain" : certains d'entre nous ont des cheveux lisses, bouclés, crépus.

Tout ceci n'est qu'une mise en commun, sous le nom méprisant d'Afrique Noire. Une unification, mais dans le mauvais sens : pour nous dire que nous ne sommes pas riches de nos différences, nous les gens de l'arrière pays de Carthage ; pour nous faire oublier que nous avons eu des empires, que ces empires se sont enrichis les uns les autres, qu'ils ont échangé leurs cultures, se sont influencés, se sont métissés.

Pour nous faire oublier qu'il nous reste encore une infinité de choses à découvrir les uns chez les autres.

Un appauvrissement, pour nous empêcher, finalement, d'apposer une marque commune à tous, dans laquelle chacun d'entre nous se reconnaît, sur ce continent à corne qui nous abrite tous : un NOM.

Mosaïque de l'Afrique Romaine, découverte à Hadhramaut. Virgile et les Muses.