Souvenir d'une attente

Publié le par Dissidence

wiki-Cicatrices de flagellation sur un esclave

 L'esclavage est aboli, la colonisation agonise sur son lit de mort, certains d'entre nous, mus par l'espoir et l'ambition, parviennent à sortir enfin la tête de la boue dans laquelle ils étaient enlisés.

Pourtant, nous attendons encore.

C'est un fait : il est dans notre nature d'attendre.

Nous attendons des jours meilleurs, des jours moins chauds, moins froids, moins difficiles. Nous attendons que la sécheresse s'arrête ; que la pluie nous inonde et nous submerge, une fois que les récipients qui la recueillent sont pleins à ras-bord. Que les prix se décident enfin à chuter, qu'enfin la fièvre retombe jusqu'a la prochaine piqure de moustique, ou qu'elle nous terrasse.

 

Nous attendons que le FMI daigne faire pleuvoir sur nous quelques pièces, ou, peut-être, qu'il cesse enfin toute cette mascarade; que la colonisation masquée cesse réellement d'exister ; que l'argent tombe du ciel ou que la mer approche les poissons près de la rive, bref, nous attendons, et même après la mort, nous attendons que justice soit rendue.

 

C'est un fait, car c'est un héritage. Attendre...

   

 

Avant que les peuples inconnus ne viennent nous cueillir par centaines et par milliers, nous attendions que le soleil se couche, et que la chaleur se soit adoucie. Nous attendions les guerriers rentrant de la chasse pour manger enfin, et que le roi paraisse a l'aube sur son balcon pour aller le saluer en danse.

C'est un fait, et à force d'attendre, nous avons fini par ne connaitre que les choses que nous attendions ; les signes des esprits, la pluie après un soleil enflammé, le jour après une nuit sans lumière.

Si bien que le jour où a débarqué une créature a la peau couleur de chair, un homme au regard d'eau et aux pieds enserrés dans des pierres légères, nous étions complètement perdus.

Nous n'avons pas su quoi attendre, quoi connaitre, comment réagir.  

Ce n'étaient pas des averses de pluie, ni la déchirure d'un éclair dans le ciel en colère ; ce n'était pas une invasion de serpents, ni l'attaque d'un lion apeuré, ni même une tempête de sable en temps de pluie.

C'était une chose improbable, inimaginable, inconnue.

Inattendue.

 

Et c'est ainsi que toi, homme au regard de nuit, habitue à n'attendre que ce que tu sais au point d'oublier de te demander ce que tu ne savais pas, tu n'as pas su éviter la corde qui t'a enserré les chevilles.

Pris de panique devant ce danger que tu n'attendais pas, tu es tombé, massif, dans cette caisse barrée de lances sans pointes.

Ce n'est que lorsqu'elle s'est étendue devant toi, la mer immense, que tu as compris ce qui venait de t'arriver : on te capturait, comme hier encore tu as capturé une antilope pour l'offrir a ta femme. Ta femme, dont la bouche bâillonnée l'empêche de protester contre ce marin qui lui vole ce qu'elle ne donne qu'a toi.

La mer, les fous qui s'y jettent : des fous qui n'en sont pas tellement, car eux ont compris qu'il était bon de ne pas trop attendre ce que l'on ne connait pas.

Attendre que le maitre te dise d'arrêter pour qu'enfin tu puisses te reposer, ou qu'il t'autorise à aimer, à désirer, à revendiquer, a penser. Attendre qu'il desserre son étreinte répugnante; attendre qu'un beau jour - oh! Et quel beau jour-, il te dise : "va, tu es libre".

Oh, il y en a qui essaient de ne pas attendre : on brise les chaines, et on court...en attendant qu'un patrouilleur t'attrape et te coupe les orteils avant de te ramener a ton maitre, les pieds en sang.

Et comment ne pas fuir seul, quand les autres sont plongés dans le désespoir au point d'attendre jusqu'a la mort ?

Mais la mort est bien loin, parfois ; surtout quand on l'attend.

Et c'est ainsi que l'attente est devenue une nature. Je ne t'en blâme pas. Je ne te demanderai pas, révoltée : Mais jusqu'a quand attendras-tu donc ?!

Nous n'en sommes plus la.

Ce que je voudrais savoir, c'est depuis quand nous attendons. Quand, exactement, l'invivable s'est fait supportable, quand, exactement, nous nous sommes mis à attendre tout et rien.

Alors peut-être sera-t-il temps de se reunir tous ensemble, ceux qui sont partis et ceux que l'on opprime encore sur leurs propres terres ; Peut-etre pourrons-nous nous dire, avec conviction : PLUS JAMAIS ÇA.

 

Publié dans Lumiere sur l'Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article